Bigorexie : quand le sport devient une addiction (dépendance à l’exercice)
Le sport est souvent associé à la santé et au bien-être. Mais chez certaines personnes, l’activité physique peut basculer d’un comportement bénéfique vers une pratique compulsive, rigide et anxiogène. On parle alors de bigorexie, aussi appelée dépendance à l’exercice physique : l’entraînement n’est plus guidé par le plaisir, mais par la peur de régresser, de « perdre » son corps, ou de ne plus être à la hauteur.
Szabo (2000) décrit cette dérive lorsque l’exercice devient un moyen d’échapper à la tension psychique, à la culpabilité ou à l’anxiété, traduisant une perte de contrôle typique des dépendances comportementales.
Sommaire
- Définition : qu’est-ce que la bigorexie ?
- Signes et comportements associés
- Troubles et conséquences fréquentes
- Pourquoi ça s’installe ? (mécanismes psychologiques)
- Passion sportive ou bigorexie : comment faire la différence ?
- Que faire ? Prises en charge et solutions
- Comment aider un proche ?
- FAQ
Définition : qu’est-ce que la bigorexie ?
La bigorexie correspond à une addiction comportementale centrée sur l’activité physique, souvent associée à une quête d’hypertrophie musculaire ou de performance. Elle illustre la dérive d’un comportement socialement valorisé (le sport) vers une compulsion destructrice.
Introduit par Pope et al. (1997) sous le terme de reverse anorexia (anorexie inversée), le concept souligne une inversion symbolique : là où la personne anorexique vise la disparition à travers la maigreur, la personne bigorexique vise la reconnaissance à travers l’hypertrophie et la maîtrise.
La bigorexie devient pathologique lorsque l’entraînement et le contrôle du corps prennent le pas sur la santé physique, la vie relationnelle, l’équilibre psychique et les obligations quotidiennes. L’American Psychiatric Association (2013) a contribué à intégrer ces problématiques dans le champ des troubles liés aux conduites répétitives et à la perte de contrôle.
Signes et comportements associés à la bigorexie
La bigorexie ne se résume pas à « aimer le sport ». Elle se manifeste par un ensemble de comportements répétitifs, ritualisés et rigides, dont la fonction principale est de réduire une tension interne (angoisse, culpabilité, peur du relâchement) plutôt que de rechercher le plaisir du mouvement (Szabo, 2000).
1) Entraînement compulsif et perte de contrôle
- Augmentation progressive du volume d’entraînement (plusieurs heures/jour, peu ou pas de repos)
- Incapacité à réduire malgré la fatigue, la douleur ou les blessures
- Irritabilité, anxiété, humeur dépressive si une séance est annulée (symptômes de « sevrage » décrits par Terry et al., 2004)
Selon Szabo (2000), la personne ne s’entraîne plus « pour le plaisir », mais pour éviter l’inconfort émotionnel lié à l’inactivité. Cette logique de soulagement rapproche la bigorexie d’autres addictions comportementales (Goodman, 1990).
2) Contrôle alimentaire et obsession du corps
- Régimes stricts, planifiés, souvent hyper-protéinés, avec peur des « écarts »
- Surveillance constante du corps (miroir, mensurations, pesée)
- Insatisfaction persistante malgré des résultats visibles
Olivardia (2001) décrit cette dynamique comme une forme de dysmorphie musculaire : la perception ne correspond plus à la réalité, la personne se voit toujours « insuffisante ». Morvan (2017) évoque un besoin constant de validation corporelle lié à une estime de soi conditionnée à l’apparence.
3) Isolement social et désocialisation progressive
- Le sport et l’alimentation deviennent prioritaires sur les sorties, vacances, repas en groupe
- Retrait social progressif, conflits familiaux ou conjugaux
- Organisation de la vie autour des rituels d’entraînement
Denoux (2014) souligne que la bigorexie peut se dissimuler derrière un idéal socialement valorisé : discipline, maîtrise de soi, dépassement.
4) Quête de performance et recours possible au dopage
Dans certains milieux (fitness, culturisme), des personnes recourent à des substances dopantes (stéroïdes anabolisants, hormones, compléments dangereux) pour accélérer les résultats. Tordo (2019) décrit une pratique où l’activité devient un rituel quasi obsessionnel : le corps est instrumentalisé comme outil de rendement, au prix de risques physiques et psychiques. Lejoyeux (2016) alerte sur l’aggravation de la dépendance via l’illusion de contrôle et les renforcements rapides.
Troubles fréquemment associés et conséquences
1) Conséquences physiques
- Blessures musculo-squelettiques à répétition (tendinites, déchirures, douleurs articulaires)
- Fatigue chronique, troubles du sommeil, baisse de récupération
- Troubles hormonaux, baisse de l’immunité
- En cas de dopage : complications cardiovasculaires, hépatiques, infertilité, troubles psychiatriques (Kanayama, Pope & Hudson, 2008)
Hausenblas & Downs (2002) rappellent que le surentraînement et la rigidité de la pratique augmentent les dommages physiques. Lejoyeux (2016) résume : « le coût physique est lourd » lorsque le corps devient le théâtre d’une lutte entre surcompensation et effondrement.
2) Conséquences psychologiques
- Insatisfaction corporelle chronique
- Dysmorphie musculaire (Pope et al., 1997)
- Anxiété de performance, culpabilité au repos
- Irritabilité, symptômes dépressifs, faible estime de soi
- Traits obsessionnels et perfectionnistes (Griffiths et al., 2005)
Tordo (2019) souligne une quête inatteignable alimentée par le perfectionnisme et l’auto-dévalorisation, parfois comme compensation face à une fragilité identitaire (Denoux, 2014).
3) Conséquences sociales et professionnelles
- Retrait social, perte d’intérêt pour d’autres activités
- Conflits liés à la rigidité des routines
- Baisse de concentration, retards, absentéisme (Antunes et al., 2016)
La personne peut fusionner son identité avec la pratique : toute interruption est vécue comme une menace existentielle.
Pourquoi ça s’installe ? (mécanismes psychologiques)
La bigorexie s’installe souvent quand le sport devient une stratégie principale de régulation émotionnelle :
- apaiser l’anxiété
- réduire la culpabilité
- retrouver un sentiment de contrôle
- compenser une estime de soi fragile
Plus la personne s’entraîne pour calmer l’angoisse, plus le besoin de s’entraîner augmente : c’est un cycle d’auto-renforcement. Tordo (2019) décrit ce fonctionnement comme un rituel : l’objectif n’est plus le plaisir, mais l’évitement du mal-être.
Sur le plan épidémiologique, la prévalence varie selon les populations et les outils de mesure : elle est faible en population générale, mais des taux plus élevés sont rapportés dans des groupes à risque (musculation/culturisme). Les hommes y sont souvent surreprésentés, mais les femmes peuvent également être concernées, parfois avec un idéal davantage centré sur la minceur et la tonicité (Maïano et al., 2019).
Passion sportive ou bigorexie : comment faire la différence ?
Un bon repère : la liberté. La discipline sportive peut être intense, mais elle reste compatible avec la santé et la vie sociale. La bigorexie, elle, se reconnaît par :
- Perte de contrôle (impossible de réduire)
- Souffrance (angoisse, culpabilité, irritabilité)
- Conséquences négatives (blessures, isolement, conflits)
Mini-check : si rater une séance te provoque une panique, une honte intense, ou une journée « gâchée », c’est un signal à prendre au sérieux.
Que faire ? Prises en charge et solutions
1) En parler et sortir du “tout seul”
La première étape est souvent de verbaliser : médecin, psychologue, psychiatre, ou professionnel formé aux addictions et aux troubles de l’image corporelle. L’objectif : comprendre la fonction du sport dans ton équilibre émotionnel, et retrouver du choix.
2) Travailler la flexibilité (plutôt que l’arrêt total)
- Réintroduire des jours de repos planifiés
- Travailler la tolérance à l’imprévu (séance annulée, vacances)
- Remplacer le “tout ou rien” par une approche progressive
3) Revenir à une identité plus large que le corps
Retrouver d’autres sources de valeur : relations, projets, créativité, sens. Quand toute l’estime de soi dépend du physique, chaque variation (fatigue, pause, blessure) devient une menace.
4) Si dopage ou conduites dangereuses : accompagnement médical indispensable
Le recours à des produits doit être abordé sans jugement, mais avec sérieux, car les risques somatiques et psychiques existent (Kanayama, Pope & Hudson, 2008).
Comment aider un proche sans le braquer ?
- Parler en “je” : « Je m’inquiète quand je te vois épuisé(e) / isolé(e) »
- Éviter les critiques sur le physique
- Proposer un bilan médical ou un échange avec un professionnel
- Valoriser la santé et la liberté plutôt que la performance
FAQ
La bigorexie est-elle une vraie addiction ?
On la décrit souvent comme une addiction comportementale quand l’exercice devient compulsif et envahit la vie. Elle s’associe fréquemment à une dysmorphie musculaire et à des mécanismes de dépendance (perte de contrôle, soulagement émotionnel, rigidité).
Peut-on s’en sortir sans arrêter le sport ?
Souvent oui. L’objectif est de retrouver une pratique choisie, flexible, compatible avec la santé et la vie sociale, plutôt qu’une compulsion.
Quand consulter en urgence ?
Si blessures graves, épuisement, idées noires, usage de substances, ou incapacité à fonctionner sans sport.
Définition synthèse : « La bigorexie est un trouble psychologique caractérisé par une obsession excessive et compulsive de l’exercice physique, souvent liée à une insatisfaction corporelle persistante et à une quête maladive de performance ou de musculature. »
Références citées
- Szabo (2000)
- Hausenblas & Downs (2002)
- Pope et al. (1997)
- American Psychiatric Association (2013)
- Tordo (2019)
- Terry et al. (2004)
- Goodman (1990)
- Olivardia (2001)
- Morvan (2017)
- Denoux (2014)
- Lejoyeux (2016)
- Kanayama, Pope & Hudson (2008)
- Griffiths et al. (2005)
- Antunes et al. (2016)
- Maïano et al. (2019)

